J'étais en route, le
bébé assoupi derrière dans son siège d’auto, vers une grande zone commerciale
pour y faire quelques emplettes assez banales: un humidificateur, des piles rechargeables,
du lait en poudre et du gel de douche. En temps normal, je m’en serais tenue à
notre super-pharmacie tout près de la maison où l’on trouvait de tout :
médicaments, crèmes rajeunissantes et maquillage, téléviseurs à écran plat,
appareils photo, pâte à dents et vaporisateur nasal, cafetières, vêtements pour
adultes et pour enfants, parfums et savon à vaisselle, batteries de cuisine et meubles
de chambre. Toutefois ce jour-là j’avais aussi un article que je devais
retourner dans un magasin situé dans le nec plus ultra de la consommation où
trônent fièrement à peu près toutes les méga-chaines… IKEA, The Brick, Bouclair
et Stokes, Wal-Mart et le Superstore, Chapters, Future Shop et Michael’s,
McDonalds, le Chalet suisse, le Keg et Starbucks, Smart Set, GAP, Old Navy, le
Château et Aldo.
J’étais à quelques
kilomètres de ma destination quand une quinquagénaire trop maquillée a semblé
vouloir me dire quelque chose derrière la fenêtre de son sport utilitaire
Mercedez. Son index pointait frénétiquement vers le sol. N’arrivant pas à
déchiffrer son message, j’ai passé en revue ce qu’elle pouvait bien essayer de
me dire. Mon manteau dépassait-il par la portière? L’avais-je coupée en la
doublant? Je l’ai regardée un peu bizarrement et j’ai continué ma route. Son
SUV m’a dépassée au moment où j’ai senti que le côté arrière gauche de mon véhicule
faisait un drôle de bruit.
- Oooh, ok… Mon
pneu est crevé!!!
Je venais de mettre
des mots sur le mouvement de ses lèvres.
Je me suis arrêtée
pour constater que mon pneu arrière était complètement à plat. Alors que je
tentais de rejoindre mon chum, un homme a cogné à la fenêtre de ma portière.
- Avez-vous un
pneu de rechange?
« Je sais
pas », que j’ai répondu en sortant de la voiture. Le coffre vidé, nous
avons découvert sous le rabat une roue de secours qui n’attendait qu’à déguerpir
de sa cachette pour se rendre enfin utile. L’homme a pris quelques objets du
coffre et soulevé ma voiture avec le cric.
Pour un après-midi de
janvier, nous ne pouvions pas mieux tomber ; le soleil brillait et la
température se voulait particulièrement clémente. La circulation était fluide et
j’avais réussi à m’arrêter là où une troisième voie s’ouvrait, laissant ainsi
le champ libre aux quelques voitures qui passaient.
Entre temps, Karim
s’était réveillé et avait commencé à pleurer. Je l’ai sorti de la voiture et
tenté de le consoler dans mes bras.
- Tu peux aller
rejoindre ma femme dans notre voiture si tu veux.
Je me suis retournée
et j’ai vu sa conjointe qui regardait la scène en sirotant un café Tim Hortons dans
l’auto stationné derrière… c’était la dame à la parole muette qui m’avait fait
signe quelques minutes plus tôt!
- Ah! C’était
vous tout à l’heure!
Il m’a souri.
- Oui. Moi, c’est
Bob.
- Geneviève.
Je me suis dirigée
vers la Mercedez et pris place à l’arrière avec Karim.
- Bonjour ! Ça va ?
- Oui, mais tu
parles d’une mésaventure. Avec le bébé c’est pas évident !
- Il s’appelle
comment ?
- Karim. Et moi c’est Geneviève.
- Debbie.
Deb et moi avons jasé
de ci et de ça jusqu’à ce que son mari vienne me dire que la roue était
rouillée et qu’il lui était impossible de la déloger.
- Bon, je vais
rappeler mon conjoint et on va s’organiser, vous vous en faites pas pour nous. On va se débrouiller.
- Non, non, je vais
aller chercher mes outils pour déprendre la roue. Je vous laisse au magasin
avec le bébé pour que vous nous attendiez là?
Je ne savais pas trop
quoi dire. J’avais appris de Deb qu’ils habitaient tout près de chez nous.
- On a qu’à y
aller avec vous. Je vais aller chercher le sac à couche dans l'auto et je reviens.
- Tu veux que je
prenne Karim ?
- Non, ça va
aller, merci. J’ai peur qu’il recommence à pleurer.
Une fois le sac à couche récupéré, je suis retournée dans
leur voiture et nous sommes partis vers Riverbend.
En arrivant près de la
maison, j’ai indiqué à Bob que notre rue approchait, mais il n'a pas décélérer pour prendre ma rue. Je lui avais pourtant donné ma consigne à l'avance. À
l’autre intersection, j’ai répété que nous habitions juste là, à droite. Il a
continué son chemin sans broncher. Tout d'un coup, j’ai senti mon visage blêmir, mon cœur flancher le temps
d’un instant. Pourquoi n'allait-il pas vers la maison? Pourquoi avaient-ils fait demi-tour pour venir à notre secours... ?
Après quelques secondes d'un silence inconfortable, Bob m'a demandé:
- Tu veux passer chez toi?
- Oui, je vais
déposer le bébé et repartir avec vous.
- Ah, ok. On fera
ça en revenant.
Nous sommes tournés à
gauche sur Rhatigan Road et avons continué tout au bout de la longue rue
tortueuse. La maison était de style tudor, élégante, austère. La propriété
longeait la vallée et on voyait à travers les arbres la rivière North Saskatchewan
qui serpentait. Le lieu était joli, paisible… isolé. La lumière intense du
coucher de soleil rayonnait sur la vallée. Il ferait noir, bientôt.
Une fois chez lui, Bob
a ouvert la porte du garage et pris quelques outils, une petite bonbonne
quelconque. Je complimentais le style de la maison et les environs boisés à sa
femme tout en textant discrètement à mon chum : « on est passé chez
bob prendre ses outils on va être à la maison dans qq minutes. »
Bob est remonté dans
sa Mercedez et nous avons repris la route. Trois minutes plus tard, nous étions
à la maison. Ouf.
Le reste de l’histoire
est ordinaire. Mon chum est parti avec eux et revenu deux heures plus tard, via
Canadian Tire, le pneu rapiécé. Dans cette aventure, c’est moi qui m’étais
montée un bateau. Après tout, Bob avait offert de nous laisser au magasin.
J’avais insisté pour les suivre sans lui dire que je voulais passer chez moi y laisser
Karim. Bob, lui, avait un autre scénario en tête. Et une bienveillance qui n’avait
rien d'ordinaire.