28 mai 2013

J'ai été professeure, et j'en suis revenue


Depuis quelques années je savais que la profession de professeure-chercheure ne me convenait pas. Pour réussir dans ce milieu, il faut se concentrer sur la recherche et, dans mon cas, en faire et surtout la publier ne m'intéressait pas beaucoup, ni la culture du I'm-too-busy-to-stop-in-the-hallway-to-say-hello. Contrairement à la croyance populaire, un professeur-chercheur qui n'enseigne que 6 heures par semaine, 26 semaines par année, décroche rarement de son travail car il évolue dans un milieu non seulement très compétitif, mais aussi impitoyable à bien des égards. Moi, j’avais refusé il y a longtemps de me faire bouffer par le travail. Ma sortie n’était donc qu’une question de temps.

Sans grande surprise, l’excellence que j’avais démontré en enseignement, mon travail dévoué à la tête du Programme de français langue seconde - qui comptait 450 étudiants sur une base semestrielle et une équipe de 20 enseignants - et les quelques articles que j’avais publiés n’ont pas suffi. Je n’ai pas obtenu la permanence. Malgré l'insistance de plusieurs collègues, j'ai choisi de ne pas en appeler de la décision. J'ai touché la prime de départ et profité de ce temps d'arrêt pour réfléchir.

J'ai d'abord réalisé qu'il n’était pas facile de dire adieu à la carrière de professeure-chercheure. C'est le summum d'un long, très long parcours académique qui vient avec une liberté extraordinaire, impensable dans n'importe quel autre milieu de travail. Il y a le prestige qui y est attaché, aussi. En plus, j'ai longtemps été convaincue que je ne savais rien faire d'autre.

Une fois que j'ai eu avalé le rejet et remis mon stressomètre à zéro, je me suis sentie libre... Car après avoir vécu le syndrome de l'imposteur pendant 7 ans, j'avais enfin accepté de verbaliser ouvertement le malaise que j'avais eu à déambuler dans mes souliers de professeure-chercheure. Ce constat bien ancré en moi, il m'a été beaucoup plus facile de faire des choix éclairés, qui prenaient en compte qui j'étais plutôt que de succomber aux attentes du monde extérieur. 

J'étais dans cet état d'esprit lorsque j'ai reçu une offre pour un poste équivalent d'une université située à Toronto. Si j'avais voulu sauver la face, ça aurait été l'occasion rêvée. Mais le poste, dont le rôle de leadership que j'aurais eu à jouer pour leur tout nouveau Centre de formation linguistique en français, ne m'offrait rien de très alléchant. On a catégoriquement refusé de spécifier la nature de mes tâches dans l'entente contractuelle. Ainsi, j'aurais été évaluée, encore une fois, selon le sacro-saint paradigme de la recherche alors que mon énergie aurait été canalisée ailleurs, à la demande explicite de l'employeur. Sans compter que je ne voulais pas d'une relation à distance avec mon conjoint et encore moins le priver de son fils. Ça aussi c'est un sacrifice que beaucoup de mes collègues ont fait dans l'espoir d'obtenir, un jour, la permanence. Pas moi, thank you very much.

Dans les mois qui ont suivi je suis restée chez moi avec mon jeune enfant et je me disais souvent, le sourire aux lèvres, que la vie avait pris un tournant pour le mieux. En d'autres circonstances, j'aurais eu tout au plus 12 mois de congé parental, ou plutôt 9 en réalité, car mon conjoint et moi avions prévu qu'il prenne la relève les trois derniers mois. Aujourd'hui j'en suis à 15 mois d'un merveilleux quotidien avec mon fils, dont 3 mois avec son papa à temps plein à la maison


En janvier, j'ai commencé à planifier mon éventuel retour au travail que je prévoyais idéalement pour l'automne, sans trop savoir où je me retrouverais. J'ai envoyé mon CV ici et là, souvent sur des postes pour lesquels j’étais surqualifiée et d'autres pour lesquels je n'avais pas le profil recherché, un peu comme on va à la pêche sans trop savoir si on a trouvé un bon spot. Petit à petit, ce processus m’a permis d’éclaircir mes objectifs professionnels, de miser sur mes habiletés, sur mes intérêts et sur le transfert de compétences que j'arrivais de mieux en mieux à articuler. Et puis, j’ai fini par pêcher la plus belle des ouananiches dans le lac que je croyais complètement vidé de ses poissons… j’ai obtenu le poste de conseillère en pédagogie universitaire pour le Centre de soutien à l’enseignement pour le même employeur qui m'avait refusé la permanence !

À l’entrevue et dans les négociations qui ont suivi l’offre d’emploi, j’ai senti que mes talents étaient enfin reconnus et valorisés à leur juste valeur. Personne n’a fait mention de ma permanence ratée ou de ma maigre liste de publications. Non, au contraire… on espérait ardemment que je joigne le Centre et que je contribue ainsi à la promotion de l'excellence en enseignement supérieur. Et le plus sublime dans tout ça... la prof virée devenue conseillère pédagogique gagnera mieux sa vie que dans le corps professoral et obtiendra vraisemblablement la sécurité d'emploi dans un an. 

Comme quoi le système universitaire contient son lot de contradictions, d'abus aussi, trop souvent (in)justifiés par la noble quête du savoir.

Aucun commentaire: