Il y a de ces moments, nombreux, où je me demande par quelle pure folie j'ai accepté de passer deux mois en Égypte. Toutes les émotions y passent, du choc complet à la curiosité inquisitrice, du désespoir passager aux fous rires incontrôlables, du dégoût de tout, ou presque, à la délectation culinaire, de l'incrédulité teintée de mépris à l'admiration béate devant la débrouillardise des simples gens. Ce soir j'ai vécu un moment qui était tout ça en même temps et plus encore, un de ces moments qui rendent l'aventure savoureuse.
Juste après souper, nous sommes allés à la campagne rendre visite à la belle famille de la sœur cadette de Yasser, afin de féliciter ses beaux-parents pour le mariage récent de leur plus jeune. Cette visite n'a rien eu de très exceptionnelle, mais le chemin nous y menant s'est avéré fabuleux.
Dans le village, un chaos organisé règne à tout point de vue. Les voitures foncent de tout bord tout côté, comme catapultées par des machines à boule. Les sens uniques n'ont absolument rien d'unique, surtout pas le sens du trafic, et les ronds points servent à confondre tout le monde. On s'y engage vers la gauche ou vers la droite, prenant le chemin le plus court selon notre destination. Resultat: personne ne va nulle part. Dans les étroites ruelles, voitures, tuk-tuks, motos et tramcos font la queu-leu-leu tant bien que mal, souvent assez mal d'ailleurs. Sur deux ou quatre pattes, plusieurs voyageurs négocient aussi leur passage: quelques poules perdues, des bœufs revenant des champs, des ânes transportant sur leur dos des feuilles de palmier et, assis sur leur cargaison, leur maître se tenant en équilibre les deux jambes en l'air. Des enfants sortent de partout, des femmes, bébé aux bras, transportent de lourdes poches sur leur tête.
Les ruelles forment un labyrinthe sans fin. Elles portent toutes un nom, me dit-on, mais aucune n'est identifiée. Nous avons mis peu de temps à nous y perdre. Ramadan, notre fidèle chauffeur, demande son chemin. Ça me semble compliqué: me fiant aux gestes et aux quelques mots que je comprends, j'en déduis qu'il faut prendre à gauche, puis à droite, monter vers là puis prendre à gauche pour arriver devant le couturier (un petit magasin non identifiable)... Ramadan s'informe aux deux coins de ruelles et reçoit des indications contradictoires. On lui propose de payer un chauffeur de tuk-tuk pour nous guider. Il refuse categoriquement, clamant pouvoir s'y retrouver. Plus loin, un marchand plus serviable que les autres encore fait monter son jeune garçon sur les genoux de notre chauffeur et nous continuons notre chemin. On avance à peine cinq cents mètres que l'on s'arrête encore, la ruelle vers laquelle pointe le p'tit gars étant bloquée par une longue poutre de bois qui gît à la hauteur des yeux d'un bout à l'autre de la ruelle. Elle servira à attacher tout un attirail (lampes, décorations) pour un mariage ayant lieu ce soir-là. Plusieurs personnes s'affairent à ne rien faire, tous nous regardent. Ramadan fait mine de reculer puis change d'avis et attend. Attend. Attend. Comble de malchance, le petit garçon s'impatiente, ouvre la porte de la voiture et retourne chez lui. Finalement, on se décide à défaire la poutre et à la soulever, juste assez pour nous laisser passer. Après quelques virages, Ramadan s'arrête soudainement, attrape un verre pas propre propre de son coffre à gants (je doute qu'on les appelle comme ça, vu que les gants sont assez inutiles pour le climat egyptien) et disparaît quelques instants. Il revient avec un thé bien fumant, acheté pour l'équivalent de 20 sous je ne sais pas trop où.
Ramadan reprend le volant et négocie péniblement mais sans heurt chaque trou sur le chemin, chaque étroit passage, évite de quelques centimètres chaque voyageur. Enfin, sans avertir, une femme ouvre la portière et tend les bras. Pendant quelques secondes, je reste confuse... et puis je réalise que nous sommes enfin arrivés à bon port!
09 juillet 2012
S'abonner à :
Publier des commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Publier un commentaire