17 juillet 2012

Flousi, flousak (mon argent, ton argent)

Une livre égyptienne (£) vaut environ 20 cents en argent canadien. Et avec ça, on va loin. Un fallafel coûte 1£, faire presser une chemise se paye 1£ et demie tandis qu'une course en taxi, peu importe où en ville, vaut 3 £. Il en coûte 15£ chez le barbier et 35£ chez la coiffeuse. Le réparateur de lave-vaisselle nous a facturé 25£ pour sa visite et Madehah, la bonne, demande 60£ pour une journée complète de travail. 

Le loyer de Geddo et Mama Loza a été fixé, il y a 50 ans, à 5£ par mois. En comparaison, l'appartement que Yasser avait au Caire lui coûtait une fortune, soit 150£. Une loi absurde sur le contrôle du prix des loyers empêche le propriétaire d'augmenter le loyer tant et aussi longtemps que le même locataire occupe l'endroit. Résultat: le proprio abandonne les lieux et laisse décrépir son investissement faute d'argent. La responsabilité de l'entretien d'un immeuble comme celui de Mama Loza, habité par les mêmes familles depuis belle lurette, revient donc aux résidents, qui hésitent à rénover même quand c'est nécessaire parce que l'appartement ne leur appartient pas. Ce serait de l'argent gaspillé s'ils le quittaient... c'est vrai, sauf qu'ils ne partent jamais. Enfin, rarement. Récemment Yasser a laissé l'appartement qu'il a eu pendant 20 ans. Vacant depuis une bonne douzaine d'années, il le gardait pour les visites occasionnelles et parce qu'il ne lui coûtait presque rien, du moins relativement au coût de la vie au Canada. Retrouver un tel appartement (aussi miteux qu'il ait été), s'il en avait eu besoin, aurait été une mission périlleuse, et coûteuse, étant donné la pénurie du logement. Mettre fin à son bail lui a valu une énorme compensation (30 000£, rien de moins), offerte par le propriétaire. C'est dire à quel point l'investisseur a intérêt à faire déguerpir son locataire de longue date. Il faut dire aussi que la crise du logement amène le nouvel intéressé à payer une large somme, au moins égale à ce que Yasser a reçue, pour élire domicile. 

Le plus surprenant dans cette transaction est le mode de paiement. Le proprio, impatient de retrouver les droits sur son logement, a fait les 120 km jusqu'à nous avec les 30 000£ en argent comptant dans ses poches. Ici, tout se paie cash... autant l'épicerie que les ordinateurs portables.  Cela s'explique par un système bancaire rudimentaire, mais aussi et surtout par les séquelles laissées par des décennies de dictature: les Égyptiens se méfient de leur ombre. Ainsi, ils ne font confiance qu'aux billets de banque. 

Même une visite chez le médecin se paye comptant et à l'avance. Que son bureau soit à plus de 100 km de son patient, que ce dernier ne puisse ni envoyer un chèque (qu'il n'a pas et qui ne serait de toute façon pas accepté) ni s'y rende facilement pour les mêmes raisons de santé que celles expliquant la visite... tout ça n'importe pas. Le patient devra trouver le moyen de payer les 500£ exigées à l'avance. Mama Loza, qui visite son spécialiste près de Tahrir Square aux six mois, demande à une voisine qui va au Caire de temps en temps ou à sa nièce qui y habite d'aller acquitter la somme pour elle. Le jour même, il en coûte encore 100£ filés en douce à la réceptionniste si on ne veut pas attendre toute la journée. Quant à Madehah, dont la fille doit être opérée à l'oeil, je ne sais pas comment elle se débrouillera pour trouver l'argent nécessaire. J'imagine que pour elle, payer à l'avance est le moindre de ses soucis.

Aucun commentaire: