Une autre nuit ponctuée par le martèlement des ouvriers qui travaillent le soir venu depuis le début du Ramadan. Yasser ronfle déjà. Moi, je n'arrive pas à dormir et j'en ai plein mon casque. Je soupire, soupire encore. C'est moi qui suis au fond du lit... je me dandine les fesses sur le matelas pour en sortir.
- Tu vas où?
En guise de réponse, j'explose:
- Explique-moi un truc. Comment ça s'fait qu'en toute autre circonstance, ta tolérance pour le bruit est à zéro, mais que tu t'endors dare-dare dans tout ce chahut?
- Qu'est-ce que tu veux qu'j'y fasse?
Yasser remet la tête sur son oreiller et ferme les yeux.
- J'arrive pas à dormir. J'vais aller écrire.
Je ne sais pas pourquoi, mais le contraste entre son irritabilité devant toutes les situations agaçantes qu'il rencontre quand nous sommes chez nous, aussi inconséquentes peuvent-elles être, et sa capacité à endurer bien pire en Égypte me rend plus folle encore que les contrariétés qui ponctuent mes journées. Comme si, dans ce capharnaüm perpétuel, ses yeux se noyaient dans ce qu'il voulait bien voir. Comme si, dans cette sombre réalité, il avait romantisé le quotidien pour le rendre tolérable.
***
La journée s'annonce chargée... Lavage et valises pour nos dix jours d'escapade à la Mer rouge. Yasser propose de nous faire des fallafels pour déjeuner, raison de plus pour être de bonne humeur. J'adore ça.
Au retour de la douche, je vois que mon chum a démantelé le lit, qui branlotait depuis quelques jours.
- J'en ai assez! Je vais en installer un autre. Peux-tu t'occuper du déjeuner?
- Ok, mais je vais faire une omelette.
(Vous voyez, je déteste faire frire la nourriture dans un poêlon rempli d'huile. Tant pis pour les fallalels.)
En servant le déjeuner sur la table de la salle à diner, j'aperçois dans la salle de réception une grande quantité de couvertures que je n'avais jamais vues avant.
- D'où ça sort tout ce bazaar?
- C'était sous le lit dans la salle de réception.
(Vous voyez, rares sont les pièces qui n'ont qu'une seule fonction. La salle de réception est aussi une chambre à coucher, selon les besoins. Les deux frigos de la demeure traînent dans le salon. Chez Mona, la chambre de son fils Eslam est aussi la salle télé. Si on veut regarder la télévision quand il dort, pas de souci. Il y a un sofa à côté de son lit.)
- Aaaah! Tu vas installer ce vieux lit-là dans notre chambre?
- Ben oui.
- Dans ma compréhension simpliste de la vie, je pensais que t'avais voulu dire que tu irais acheter un lit neuf! Mais bon ça fait pareil.
Et Yasser de me répondre fièrement, dans son anglais imparfait:
- Yes, this will do. This bed is the most sturdiest in the entire house.
(Vous voyez, la traduction n'aurait pas rendu l'essence de son sentiment... le double superlatif, bien qu'incorrect en anglais standard, traduit tout son enthousiasme).
***
Je me repose dans notre chambre, sur notre nouveau lit pas neuf. Yasser entre et, pointant vers l'unité d'air climatisé, me demande:
- As-tu remarqué qu'il est plus silencieux?
- Non, pas vraiment.
- J'ai mis un morceau de tissu entre le mur et l'appareil, ça fait qu'il vibre moins qu'avant.
- Tant mieux, que je lui réponds, l'air pas trop convaincu.
- En tout cas du balcon la différence est évidente.
- Je suis sûre que les ouvriers d'en face t'en seront reconnaissants!
***
Nous sommes dans le salon. Yasser et Mama Loza discutent tandis que je m'amuse sur mon iPad. L'un des deux néons éclairant la pièce se met à clignoter. Mon chum ne bronche pas. Une minute passe. Je comprends que sa mère, qui voit très mal, n'ait pas remarqué, mais que Yasser soit toujours impassible me dépasse. Il regarde enfin vers le luminaire, se lève, l'éteint. Il ferme l'air climatisé, puis rallume le néon qui continue à cligner. Il le referme et rallume la clim.
- Pourquoi tu fais ça ?
- J'ai baissé la consommation d'énergie le temps de voir si ça permettrait au néon de se rallumer.
- Faut juste changer le néon.
- Non, le néon marche comme il faut.
- Ben oui, c'est ça.
***
La salle de bain est dans un état pitoyable qui défie toute tentative de description.
(Vous voyez, je suis trop fatiguée pour essayer.)
La solution de mon chum pour en améliorer l'état? Acheter une bouteille de Glade... Vraiment?
***
Et d'autres fois il me surprend pas sa candeur.
- Qu'est-ce que tu fais?
- J'écris mon dernier billet avant notre départ à la Mer rouge. Je pense pas que je vais écrire pendant nos vacances.
- Tu t'attends à arriver dans un monde normal?
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1 commentaire:
Genevieve, ca me fait plaisir de lire ton histoire tous les jours! J'adore ton ecriture et je pense que tu devrais ecrire un vrai roman!
Bisous et bon sejour a la mer Rouge!
Edee
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