15 juillet 2012

Le monde selon Nada

Quand je suis venue en Égypte la première fois, Nada avait dix ans. Elle était une petite fille joviale et coquette. Elle aimait porter des robes courtes et sans manche avec une paire de sandales.  Elle jouait au ballon, prenait des cours de tennis et allait à la piscine. Deux ans plus tard, j'ai retrouvé la même enfant, à une différence près...  son corps s'est transformé en celui d'une jeune adolescente.  Si elle aime toujours les robes soleil, se peindre les orteils de vernis rose et se faire raidir les boucles chez le coiffeur, seuls ses proches en sont témoins. 

En public, elle porte des manches longues, des souliers fermés et un hijab. Parfois elle se vêtit d'une longue tunique sombre sous laquelle on découvre une robe fuchsia et blanche. Souvent elle choisit plutôt des vêtements à la mode auxquels elle ajoute un hijab fait de plusieurs tissus qu'elle agence avec goût. Elle pratique toujours le sport, mais sur le court de tennis elle porte un long habit jaune et blanc ainsi qu'un foulard assorti, elle plonge dans la piscine accoutrée d'un legging, d'un t-shirt à manches longues et d'une robe sans manche par-dessus tout ça.  Elle se munie d'un casque de bain, plus pratique et confortable que le hijab porté par certaines.

Nada et moi sommes bonnes amies. Elle m'apprend quelques mots d'arabe et je lui enseigne les rudiments du français. Ces leçons servent de prétexte pour passer du temps ensemble, écouter sur YouTube nos chanteurs préférés et se parler des films que nous aimons. De temps en temps elle m'aide à prendre soin de Karim. Régulièrement, elle interrompt ce que nous sommes en train de faire, adopte une mine sérieuse et y va de ses questions et commentaires (pour les traductions, voir le lexique à la fin de ce blog).

- Aunt Gennie, mabsuta in Egypt? (je pense que sa mère lui a dit qu'elle m'avait vue pleurer)

- Aiwa. But I miss Canada.

- You Canada, me Egypt (je pense qu'elle voulait me dire qu'elle aimait son pays et moi le mien).

*** 

Nos leçons sont souvent interrompues... mais cela nous permet de mettre en pratique ce que nous apprenons. 

- Oh, sorry Nada, Karim ekul delwati.

- Karim toujours faim! 

- Aiwa, Karim alatoul gaen!

***

Nada prend le stylo et dessine une croix, puis un croissant de lune.

- Aunt Gennie, what is this?

- A cross.

- Yes, and this is helel. Like moon. (Je pense qu'elle voulait me dire que nous avions des religions différentes. Je ne lui ai pas dit que j'étais athée... Ce serait trop compliqué).

- Yes.

Puis elle m'emmène sur le balcon pour me montrer la mosquée.

- Nada, no scarf?

- No. Fast, no. Slow, yes. (Je pense qu'elle voulait me dire que ce n'était pas nécessaire à moins d'y rester longtemps).

- Machi. 

***

- Aunt Gennie, what mean "keskya" ?

Je n'avais pas réalisé qu'elle apprenait le français de mes échanges avec Karim!

***

Yasser est en train de faire frire des fallafels.

- Aunt Gennie, in Canada, cook who? You or Khello?

- Me, but Khello helps me.

- My house, Baba.

***

Yasser est en train de donner le bain à Karim.

- Aunt Gennie, in Canada, who douche Karim?

- Sometimes, me, sometimes Khello.

***

Yasser joue avec Karim qui se met à chigner. Il me tend le bébé. Je regarde Nada d'un air découragé.

- Karim mech mabsut, my problem.

Yasser me lance un regard amusé et me répond:

- Karim is always your problem.

- Aunt Gennie, in Egypt, baby, woman. Man, money.

Je la regarde dans les yeux:

 - Well, you can go to school and make your own money.

A-t-elle compris? Je ne sais pas. Mais elle a vu la détermination dans mes yeux.

Lexique

mabsut/a-  heureux/heureuse

aiwa - oui

Khello - Oncle

Baba - Papa

ekul - mange

delwati - maintenant

alatoul - toujours

gaen - a faim

machi - ça marche

helel - croissant

keskya - qu'est-ce qu'il y a

mech - pas (négation)

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Hello Hello!!! Je demeure ''bouche la bée!!! Et je suis sans commentaire devant cette description concernant cette enfant devenue adolescente...
Une des Gazelles