Pour ouvrir la porte de l'entrée principale au visiteur, nul besoin de descendre les quatre étages menant au rez-de-chaussée. Quand quelqu'un sonne pour signaler sa présence, il suffit de tirer sur une longue corde qui dévale la cage d'escaliers en colimaçon pour ainsi débarrer le loquet tout en bas. Parfois, on sait qui s'annonce. S'il s'agit d'un livreur, on lui lance le panier rouge muni d'une corde que l'on hisse péniblement une fois rempli de sa cargaison. Dans d'autres occasions, le visiteur monte pour venir à notre rencontre. À observer le comportement de la famille qui se prépare à accueillir la visite imminente, je sais à quel type nous avons affaire.
La porte principale restant souvent ouverte, les visites impromptues sont chose courante et suscite une réaction immédiate. Lorsqu'on sonne à la porte de l'appartement, Yasser s'y dirige pour l'ouvrir tandis que Mama Loza (ma belle-mère) disparaît, le pas rapide, voire légèrement paniqué. Elle revient quelques instants plus tard la tête voilée. Un étranger s'étant annoncé préalablement est accueilli sur le palier par la porte de la salle de réception, isolée du reste de la maison. En ces occasions, Mama Loza reste calme et son accoutrement inchangé. Après la consultation, l'expert en rénovation ou le réparateur devra traverser le salon privé pour inspecter la salle de bain ou le lave-vaisselle. Au son de la porte intérieure qui ouvre sur le salon, Mama Loza se sauve dans sa chambre et en ressort les cheveux cachés. À d'autres moments, le visiteur attendu se fait ouvrir sans que Mama Loza n'ait besoin de se vêtir la tête. Cet accueil à découvert est réservé à toutes les femmes et aux hommes de la famille: fils, gendres et petits-fils, oncles et autre parenté. Il en va de même pour celles qui nous visitent ; les sœurs, nièces ou petites-filles se défont de leur couvre-chef dès leur arrivée. Il suffit toutefois qu'un étranger se joigne au groupe pour que chacune reste voilée.
L'attention que l'on me réserve dépend aussi du visiteur. Ma tête et mes épaules exhibées ne semblent pas gêner les membres de la famille. Lorsque Mama Loza reçoit la visite de ses amis de longue date, de loin parents ou des voisins, je fais l'effort de porter un chandail ample aux manches trois-quart pour ne pas la gêner... un geste qu'elle apprécie. Quant aux parfaits inconnus, je n'en fais rien parce que je n'interagis pas avec eux. Il arrive de temps à autres que je me retrouve dans la même pièce qu'eux. Hier par exemple un médecin est venu pour la prise de sang de ma belle-mère. J'étais dans le salon quand il est arrivé, en compagnie du père de Yasser et d'un cousin venu de la campagne. L'homme a salué poliment les deux autres. Il s'est assis et a attendu, muet, l'arrivée de Mama Loza, s'efforçant à fixer le plancher. J'ai été surprise de voir son visage s'illuminer à l'entrée de la vieille dame, de le voir blaguer avec elle tout en manipulant la seringue. Il est reparti comme il est venu, d'un air sombre, évitant si habilement de regarder dans ma direction que je sais qu'il m'a vue. On me dit que c'est en partie parce que ma présence intimide - on ne sait pas comment réagir à ma différence, en partie par respect pour moi et (surtout?) pour le chef de famille, puisqu'un homme n'est pas censé regarder le corps de la femme (d'un autre).
Bref, le toc toc toc ne se répond pas du tac au tac.
11 juillet 2012
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2 commentaires:
Bonsoir belle québécoise ambulante. À nouveau, quel beau texte décrivant tellement bien ton vécu actuel, vécu qui me transporte à nouveau dans ce pays si plein de contradictions, vécu dans le quotidien de personnes aux habitudes de vie tellement différentes des nôtres. Ton toc toc toc fait ressurgir en moi une soirée dans la famille de Ahmed, au Maroc, l'an dernier et où la maman de ce dernier agissait exactement comme Mama Loza. Tes quatre récits que je viens de lire sur ton blog enchante la lectrice que je suis. Tu as le don de réveiller les mémoires. Vraiment!!!
Une des Gazelles
Quelle belle description de ton vécu que je reconnais mais que je sens davantage par tes commentaires.
J'ai hâte de voir tes photos et surtout de te voir toi, Karim et peut=être Yaser dans un avenir pas trop lointain.
J'ose espérer qu'un jour vous ne serez pas trop loin de nous afin de se visiter plus souvent.
Amitiés
Nicole
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