12 août 2012

Chou, bijou, joujou



Nous devions aller à la bijouterie acheter une chaîne en or blanc pour remplacer celle que j'avais. Le pendentif qui l'accompagnait était superbe, mais le collier trop fin. Aussitôt replacé dans son étui, il s'emmêlait de nœuds. 


Comme pour le reste, les heures d'ouverture des commerces étaient mésadaptées à notre ron-ron quotidien. Ou, c'est selon, nous avions des habitudes dysfonctionnelles pour le train-train égyptien. Il était donc vingt heures, l'heure du dodo nocturne de Karim, quand nous avons mis le nez dehors. Si je trouvais qu'il était tard pour sortir avec le bébé, j'étais de toute évidence la seule à voir les choses ainsi. Les rues se sont engorgées à mesure que la soirée avançait, les tout-petits dans les bras de leur mère. Le ventre plein, Karim lui s'est prêté à l'aventure le regard curieux. 

Nous sommes d'abord passés chez la voisine d'en face à qui on avait promis d'aller faire un tour. Son fils, qui vivait au Pays-Bas, lui rendait sa visite estivale. Il était l'antithèse de l'Égyptien: la cinquantaine, il restait célibataire, du moins c'était la version que l'on voulait bien croire au pays natal. Il avait le geste discret, la voix calme, les cheveux longs malgré sa calvitie évidente. Il portait des culottes courtes et une camisole. Il  m'a engagé la conversation dans le peu d'anglais qu'il parlait:

- In Canada, less noise than Egypt?

Il fallait un Égyptien vivant à l'étranger pour penser à me poser cette question. 

Je lui ai souri.

- Yes. That's true.

Il a demandé à son jeune neveu d'aller nous acheter des breuvages. 

- Pepsi or Seven-Up?

- Mirinda. 

J'ai offert une explication:

- I like it. It's not avalaible in Canada.

Il m'a regardé la complicité dans les yeux.

- It's not available in Holland too.

Puis, passant la commande à son jeune neveu Mohammed:

-Dr. Yasser we Mama Loza, Pepsi. Inta we Téta, Seven-Up. Ana we Gennie, Mirinda. Etnéne Pepsi, etnéne Seven-Up,etnéne Miranda. Machi?


Il s'était lui aussi commandé une Mirinda. Il est ensuite disparu dans l'une des pièces privées pour revenir avec un petit coffret jaune qu'il a tendu à Karim. Il y avait caché un billet de 100 livres égyptiennes.

C'était une délicatesse courante d'offrir un cadeau au nouveau-né. Nous avions d'ailleurs débattu l'idée d'emmener Karim chez la voisine, car nous savions qu'elle se sentirait obligée de lui donner quelque chose. Nous étions arrivés sans nous annoncer, espérant ainsi éviter le don généreux d'une famille aux moyens modestes.

Yasser avait fait la même chose pour une jeune enfant qui était venue à la maison avec une distante parente. La dame ayant offert de l'argent à Karim, il ne pouvait faire pareil pour sa petite-fille, mais il se devait de réciproquer. Il s'était volatilisé pendant un instant, puis était réapparu avec la main de Fatma en or que Karim avait reçue de son grand-père

Je trouvais cette pratique bizarre... la grand-mère, qui ne s'était pas annoncée non plus, devait bien savoir que le petit pendentif n'était pas vraiment destinée à sa petite-fille. Mama Loza faisait pareil quand des amies lui rendait visite accompagnées d'un ensemble pour le bébé ou des biscuits pour les semaines à venir. Elle disparaissait quelques instants et revenait avec des cadeaux improbables: un tube de Voltaren, du baume pour les talons, des stylos usés. Tout semblait se prêter à l'offrande, en autant que nous lui avions rapporté du Canada.

En tout cas, il nous fallait maintenant remplacer la main de Fatma, raison de plus pour aller chez le bijoutier.

Nous y avons passé une bonne heure. Une fois les bijoux choisis est venu le temps de la négoce. On offrait la chaîne de 18 carats à 300 livres du gramme. Elle en faisait un peu plus de quatre. Ça me semblait dispendieux, mais je n'y connaissais pas grand chose au-delà des 14 carats. Ici, la brillance aveuglante du bijou n'avait d'égale que le nombre de carats de ses joyaux. 

Mon chum a mis 1150 livres sur le comptoir et s'est assis. Le joaillier a fait mine de faire autre chose, prenant toutefois le soin de mettre les billets sous sa calculatrice.  Un autre est arrivé avec un café turc pour Dr. Yasser. Sur les entre-faits, une dame et ses deux filles sont entrées. Les doigts des trois femmes se sont mis à bourdonner autour de la poignée de bagues que le bijoutier leur a tendue, fraîchement sorties de son coffre-fort. A épier leurs gestes, j'ai compris que la plus vieille des filles, bien jeune, cherchait un jonc pour ses noces.

Une fois les dames reparties, le bijoutier a préparé notre facture, dont le total s'est élevé aux 1150 livres offertes. 

- Penses-tu qu'il achète l'or? Je mettrai plus cette chaîne-là.

Yasser était content que j'y aie pensé. On a montré mon bijou emmêlé au commerçant, qui pendant une bonne quinzaine de minutes s'est appliqué à délivrer mon pendentif de ses nœuds. Il l'a pesé puis a fait son prix. Yasser était moins content des 120 livres qu'on a eues pour les pauvres 10 carats de mes .97 gramme de chaîne.

- Tu devrais être satisfait. Chez nous il aurait fallu payer à peu près ça pour la faire démêler! 

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