11 août 2012

M pour Masr, M pour misère, M pour mabsuta

Au début de mon séjour en Égypte, j'avais constamment le cafard. Mon environnement me dégoutait carrément, mes journées me déplaisaient royalement et à mon grand désarroi mon chum ne me comprenait aucunement. Dans mon cortège de misère, j'avais toutes les raisons du monde d'avoir une humeur massacrante, le ton cinglant. Et je m'en donnais le droit à cœur de journée. 

Un après-midi, n'en pouvant plus, je suis allée m'étendre dans la chambre. À peine 15 minutes plus tard, j'ai entendu le bébé chigner. Les yeux bouffis et les cheveux défaits, je suis allée voir ce qui se passait dans le salon. J'y ai trouvé mon chum qui laissait Karim chialer.

- Il a faim. T'aurais pas pu lui donner un biberon?

- J'savais pas. Tu m'as pas dit à quelle heure il aurait faim.

- T'as pas demandé.

- T'es partie t'coucher sans m'avertir. J'savais pas qu'tu dormais.

Mama Loza est entrée dans le salon alors que je ripostais:

- C'est pas vrai. Quand t'es venu m'quêter une pipe tantôt, j'étais déjà dans le lit et j'venais d'te dire qu'j'avais besoin d'faire une sieste. Tu as eu c'que tu voulais. Moi tout c'que je demandais c'était d'me reposer, mais t'es même capable de m'donner ça. 

Ses yeux m'ont lancé des flèches réprobatrices.

- Inquiète-toi pas... Ta mère comprend pas.

Des fois, j'étais comme ça, vindicative, agressive, sans raison évidente et sous l'impulsion du moment.  Mais même avec les meilleures intentions je me retrouvais vite dans la dèche. Tant d'échanges se sont conclus à peu près comme ça, un jour que j'ai eu envie de préparer une sauce à spaghetti pour souper:

- Vers quelle heure tu penses préparer ton spag?

- Dès que la cuisine se libère.

- Elle est disponible.

- Non, ta mère et Madehah sont occupées.

- Elles ont presque fini.

- Viens m'chercher quand elles auront vraiment fini. 

- C'est quoi ton problème?

- La cuisine est trop petite pour accommoder trois personnes, c'est tout.

- J'en peux plus d'tes caprices. J'ai deux millions d'trucs à faire mais j'suis allé à l'épicerie expressément pour prendre c'que t'avais besoin pour ta recette, pis là tu veux pas la faire.

- Penses-tu vraiment qu'j'aime ça être poignée ici à longueur de journée? J'irais bien les chercher mes ingrédients mais j'sais pas où aller les acheter. J'passe mes grandes journées dans la chambre avec le bébé ou dans l'salon avec tes parents. Après avoir échangé les mêmes banalités, soit on se r'garde dans les yeux un peu gênés soit on fait semblant d'pas s'voir. J'vois pas la lumière du jour parce que les volets restent fermés. J'te l'dis tout d'suite j'tiendrai pas le coup jusqu'au mois d'août.

Et je ne bluffais pas. Je voulais retourner au Canada, mais pas sans mon chum. Et il refusait d'y retourner prématurément. Je lui en ai voulu à mort de m'avoir mise dans ce pétrin. Malheureuse en Égypte, mal aimante si je m'en sauvais. J'ai aussi pensé aller prendre l'air chez ma pote en Italie et en revenir fraîche comme une fleur. J'ai vite changé d'idée parce que je savais que j'aurais séchée, au propre comme au figuré, aussitôt rapatriée.  Mieux valait que je trouve une solution gagnante tant pour moi que pour mes deux hommes.

Alors j'ai pris ma déprime en main. J'ai ouvert les volets tous les matins et insisté pour qu'ils le restent. J'ai fait des crêpes, des cupcakes et quelques recettes choisies au volet. J'ai exigé de partir en vacances pour 10 jours au lieu des 4 ou 5 jours promis par mon chum.  Nul doute que le détachement que m'a permis l'écriture y est aussi pour quelque chose. Et les relations humaines aussi. Avec Mama Loza, j'ai développé une complicité qui transcende les barrières linguistiques. Le peu d'arabe que je comprends m'immunise aussi contre les commentaires de belle-mère qu'elle se permet parfois ne réalisant pas que je déchiffre l'essentiel du contexte. Mon chum et moi nous sommes retrouvés à travers un sarcasme complice plutôt qu'accusateur. Karim s'épanouit, inconscient des mille et un désagréments qui juchent notre quotidien. Nada nous rend souvent visite et me suit comme un chien de poche. Elle m'apprend un peu d'arabe, beaucoup sur elle, et je lui ouvre une toute petite fenêtre sur mon monde à moi. 

À dix jours de notre départ, je suis non seulement toujours en Égypte, ce qui en soit est un exploit, mais je me sens bien. Ce n'est pourtant pas que je me suis découvert un amour pour cet endroit. Au contraire à tous les jours quelque chose me rappelle à quel point je déteste Fayoum. C'est simplement que cet été, et peut-être pour la première fois depuis le 2 octobre 1973, je n'ai pas été simplement choyée par la vie. J'ai choisi le bonheur.

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