17 août 2012

Mon dévoilement


Mon opinion sur le voile se résume grosso modo à 'vivre et laisser vivre'. Que je sois d'accord ou pas, je respecte ce choix, comme d'autres qui sont généralement réservés aux femmes... se maquiller, prendre le nom de son mari, rester à la maison avec les enfants malgré les études et la carrière, porter des talons-hauts, se faire avorter. Mais depuis un certain temps, je me questionne sur la notion de 'choix'.

Je doute que Nada, douze ans, se couvre de la tête aux chevilles parce qu'elle en a décidé ainsi un bon matin, le même où, par un drôle de hasard, elle a remarqué pour la première fois sa poitrine naissante. C'est ce que font les filles de son âge, de la même manière que les filles de chez nous portent des robes mais pas les garçons.

Je doute aussi que Mama Loza, qui se déplace péniblement, trouve du plaisir à courir pour se couvrir dès qu'un homme entre chez elle. Mais c'est ce que font les femmes, même celles de son âge, de la même manière que les femmes de chez moi mettent leur robe de chambre à la hâte quand on sonne à la porte plutôt que d'y répondre toute nue.

D'accord. Au delà d'un signe ostentatoire, le voile est une convention sociale inculquée dès la puberté qui restreint la liberté des femmes. Ça y est, je l'ai dit. Mais le respect contraignant des conventions sociales n'est pas exclusive au monde arabe.

Je doute que les femmes de chez moi qui ne sortent pas sans maquillage ni talons-hauts trouvent amusant d'avoir à se maquiller ou à osciller sur leurs aiguilles juste pour aller au dépanneur. C'est ce que font certaines Nord-américaines, de la même manière que les femmes musulmanes s'obligent à se voiler pour aller étendre le linge.

Je doute aussi que Brenna, Colleen, Crystal, Eileen, Frédérique, Jessica, Kirsten et Vanessa, parmi d'autres nanas que je connais, aient vraiment choisi de prendre le nom de leur époux. C'est ce que font les Nord-américaines, de la même manière que les femmes arabes... Euh, non, elles, elles gardent leur nom de fille.

Je doute encore que les femmes de chez moi se sentent vraiment bien dans leur corps, toujours préoccupées par leur taille, par le prochain régime miracle qui leur permettra de rentrer dans leur belle robe d'été. C'est ce que font les Nord-américaines, de la même manière que les femmes musulmanes... Euh, non, je doute qu'elles, elles se sentent aussi complexées par leur corps que nous.

Dans tout ça, comment distinguer le choix de la norme sociale obligeante? Ou tracer la ligne de l'acceptable?

J'ai trouvé ma réponse l'autre soir qu'on regardait la BBC, ou peut-être était-ce une autre station de télé occidentale. Il y avait un reportage sur la libéralisation médiatique depuis le printemps arabe et on donnait à titre d'exemple une chaîne égyptienne ayant vu le jour après le démantèlement de la dictature séculaire qui supprimait l'expression religieuse. L'objectif annoncé de cette chaîne était de promouvoir le radicalisme islamique, dont la nécessité pour la femme de se couvrir entièrement de noir, sauf pour les yeux. Ainsi tant la présentatrice que la camera-woman portait un voile couvrant le visage, une longue tunique et des gants. 

On louait cette initiative car elle donnait une voix à un segment de la population qui avait été étouffée pendant l'époque Mubarark. Ces femmes, qui avaient une formation en journalisme, n'avaient pas pu trouver de travail avant que cette chaîne n'apparaisse parce que leur apparence physique n'était pas acceptée, en tout cas pas à la télé. Elles se trouvaient maintenant épanouies, non seulement parce qu'elles travaillaient, mais aussi parce qu'elles répandaient leur message. Bravo à l'Égypte pour être devenue une société plurielle. 

J'étais prête à gober ça, peut-être trop sensible à l'idée à la mode "give a voice to the voiceless". Sauf qu'à la fin du segment, le producteur de la station de télé a expliqué que le petit budget dont il disposait pour faire marcher sa boîte ne lui permettait pas de payer ses employées. Elles qui n'avaient jamais pu travailler à cause de leur choix vestimentaire étaient maintenant les esclaves de leur idéologie.

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