07 août 2012

Vaudeville à perpette


Les Égyptiens aiment le drame. À commencer par Mama Loza. Au téléphone, elle est si animée que je me demande toujours, vu la vie tranquille qu'elle mène, quelle fiction inspirée lui est venue à l'esprit pour s'exciter comme ça. Si souvent j'ai entendu les gens élever la voix et chaque fois j'ai été légèrement paniquée par la crise gargantuesque qui se déployait devant moi. Puis au moment où j'allais demander ce qui se passait, tout le monde éclatait de rire.

Hier par exemple, le chauffeur de taxi s'est arrêté en pleine rue, s'est penché vers la fenêtre et a crié quelque chose à la tête du gars dans le gros camion stationné dans le chemin.

- C'est quoi son problème à celui-là?

- Il a pas de problème. Il fait juste jaser avec le chauffeur du camion.

- Jaser?

- Ben oui.

Parfois les banalités du quotidien se transforment comme par enchantement en un absurde épisode tragi-comique,  à mon plus grand plaisir et au désarroi de Yasser...

En arrivant à l'aéroport de Sharm El Sheikh au début de nos récentes vacances, Yasser est allé nous chercher un taxi dans le stationnement où attendait une bonne dizaine de chauffeurs. Il s'est informé du prix et en a fait venir un près de la porte de l'aéroport où Karim et moi l'attendions. Je me suis avancée vers eux, mais Yasser m'a ordonné de rester derrière.. Puis il a tourné les talons et nous sommes retournés à l'intérieur de l'aéroport. 

- Qu'est-ce qui se passe?

- Il est revenu sur son prix. On va trouver quelqu'un d'autre.

Nous étions les seuls dans la section des arrivées.  L'aéroport de Sharm est minuscule et les passagers qui avaient pris place dans le même avion que nous avaient tous quittés les lieux. La police aéroportuaire nous a aperçus et est venue à notre rencontre. Yasser leur a raconté la situation et le plus gros d'entre eux, qui ressemblait à Caliméro dans son uniforme blanc et noir,  est sorti avec mon chum s'expliquer avec les chauffeurs de taxi. En deux instants, la scène a mis en vedette Yasser, le policier, trois chauffeurs et un passant qui n'avait rien a voir dans cette histoire. Yasser m'a fait signe de venir alors que l'engueulade allait de plus belle. Confuse, je lui ai demandé si je devais ou non installer Karim sur le siège arrière.

- Non. On r'tourne à l'aéroport.

- Pourquoi?

- C'est au tour d'ce crétin d'prendre un client. Moi j'veux rien savoir de lui, ça fait qu'il nous fait une scène.

J'ai fait mine de m'éloigner. Un autre taxi est arrivée à ma hauteur. Yasser m'a enfin laisser embarquer. Le policier a attendu que les valises soient montées sur le toit avant de repartir nonchalamment. L'autre gars s'est mis à crier, sa colère visiblement dirigée vers Yasser, qui a hurlé une réponse tout en s'approchant du mec.

- Yasser, embarque dans l'auto  delwati! (traduction: tout de suite!)

Il est monté dans la voiture. 

- Qu'est-ce qu'il avait à beugler?

- Il voulait que je ramène le chariot dans l'aéroport.

- De quoi il s'mêle?

- C'est justement c'que j'lui ai demandé. 

Quelques soirées plus tard, fatigués de manger à l'hôtel et n'ayant pas envie de sortir pour souper, nous avons commandé notre repas chez Pizza Hut. Yasser est allé attendre notre livraison à la réception à l'heure prévue. Il est revenu une demi-heure plus tard.

- Ça a donc ben été long... ?

- Longue histoire.

- Fais-moi plaisir... Raconte!

- Le gardien d'sécurité à la barrière a refusé d'faire entre le livreur. Apparemment ils permettent pas la bouffe qui vient pas d'l'hôtel.

- Vraiment? C'est quoi ces conneries?

- Il a fallu que j'parle au gérant d'la réception, qui s'est senti obligé d'téléphoner au chef, à qui j'ai expliqué que j'savais pas qu'on avait pas l'droit d'commander. Il a parlé au gardien d'sécurité et lui a dit qu'il pouvait laisser passer le livreur.

- Bon, il y en avait au moins un qui a usé d'un peu d'bon sens.

- Oui, sauf que l'gardien d'sécurité a continué à s'obstiner. Le portier m'a escorté jusqu'à la barrière avec une des voiturettes de golf. J'ai payé le livreur et ramassé la pizza assis d'dans, au cas où l'gardien m'laisse pas rentrer. 

- En tout cas, on l'remerciera pour le fromage figé sur notre pizza défraîchie.

D'autres fois les histoires ne frisent pas simplement le ridicule. Celle qui suit est carrément saugrenue.

On ne voyait plus la bonne que sporadiquement. Mama Loza lui avait téléphoné plusieurs fois, mais Madeha avait éteint son cellulaire en cours d'appel chaque fois que ma belle-mère essayait de la rejoindre. C'est finalement Marwa, la sœur de Yasser, oui, oui, celle qui habite en Allemagne, qui nous a informés que Madeha avait démissionné.

- Comment ça s'fait qu'Marwa est plus au courant que ta mère? C'est quand même elle qui l'embauchait.

- Avant qu'ma sœur parte en Allemagne, Madeha était sa femme de ménage. Marwa lui a téléphoné quand Maman lui a dit que Madeha s'pointait plus.

- Pis? Quelle raison elle a donné?

- Elle trouvait ça trop difficile. La dernière fois qu'elle est venue, Maman et Madeha sont allées faire les courses ensemble. En revenant, elle a voulu faire une sieste!

- Qui ça, ta mère?

- Qu'est-ce t'en penses?

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Salam belle Québécoise!!!
Quelle intensité dans ce quotidien raconté avec un sens de l'observation et de l'humour peu commun. La lecture des pages de ton journal de voyage est un pur délice. Certains passages me font sourire, rire aux éclats et surtout, m'imprègnent des diversités de ce pays des Pharaons. Mille bravos pour ta fantaisie, ta volonté de comprendre ce pays. ''Je vois'' ce que tu écris, comme un tableau qu'on ne se lasse pas d'admirer. Que de souvenirs!!! une des Gazelles